La metformine et ses vertus cachées

Par le Pr Michel Pinget, diabétologue 



La metformine, antidiabétique oral commercialisé en France depuis 1979 sous l’appellation de glucophage, est le médicament le plus prescrit pour traiter les patients atteints de diabète de type 2 et particulièrement les patients en surpoids ou obèses grâce à son efficacité, sa faible capacité à provoquer des hypoglycémies et l’absence de prise de poids. En effet, cette molécule réduit l’hyperglycémie en inhibant les gènes responsables de la production de glucose dans le foie via l’activation de l’AMPK.


Outre sa contribution active dans le traitement du diabète de type 2, il s’avère que la metformine disposerait de beaucoup d’autres vertus médicales. En effet, elle aurait une action anticancer, cardioprotectrice, voire même neuroprotectrice. Si les éléments nécessaires à son bon fonctionnement restent encore mystérieux et énigmatiques, de sérieuses pistes ont d’ores et déjà été développées.

La metformine protégerait des effets du diabète sur le vieillissement cérébral et le risque de démence.


Le diabète accélère le vieillissement cérébral

La pénétration de quantités excessives de glucose dans les cellules de notre organisme oblige celles­-ci à modifier leur fonctionnement, notamment pour oxyder ce glucose en excès, conduisant à la production de substances toxiques ainsi qu’à un état d’inflammation chronique.

Les cellules cérébrales n’échappent à ce risque de dégénérescence accélérée, laquelle est sans doute responsable de la relation entre diabète de type 2, démence et maladie d’Alzheimer. Elle peut surtout conduire à une accélération du déclin avec l’âge des fonctions cognitives (telles que la mémoire, la vitesse d’exécution, le langage, les capacités visuo-spaciales et les fonctions exécutives), voire à une démence, que l’on retrouve, sous une forme en général modérée, chez 60 % des diabétiques de type 2.


Cette évolution est-­elle évitable, notamment grâce à l’usage de la metformine, médicament recommandé par tous les médecins, et en 1re intention, à tout diabétique de type 2, sous réserve de l’absence de contre­-indications ou d’effets secondaires ?

Un certain nombre d’études semblait aller dans ce sens, celui d’un effet protecteur de la metformine vis­-à­-vis de la détérioration accélérée des fonctions cognitives. Malgré l’analyse scrupuleuse de ces études, réalisée par le Professeur Campbell et son équipe, publiée en 2018 dans le Journal of Alzheimers Disease, il n’était pas possible d’apporter une réponse certaine à cette question.

Une réponse nous vient d’Australie, où l’équipe, conduite par la Professeure Katherine Samaras, a conduit une étude sur une large population suivie pendant 6 ans, publiée en ligne le 25 septembre 2020 par la revue Diabetes Care. L’étude a porté sur une cohorte de 1 037 personnes, (âge compris entre 70 et 90 ans), indemnes de troubles cognitifs et de démence au début de l’étude. Cent vingt-­trois étaient diabétiques, dont 67 avaient reçu de la metformine (GM+), et 56 jamais traités par metformine (GM–). Un groupe contrôle a été suivi en parallèle, composé de 504 sujets non­-diabétiques (GC).

Ils ont évalué les fonctions cognitives des sujets des trois populations à l’inclusion et 2, 4 et 6 ans plus tard, en utilisant une batterie de tests psychomoteurs, demandant l’avis d’experts et réalisant une mesure du volume cérébral, par imagerie par résonnance magnétique.

On note un déclin plus rapide de l’ensemble des fonctions cognitives dans le groupe des patients diabétiques n’ayant pas reçu de la metformine (M–), versus les 2 autres groupes, des non­-diabétiques (GC) et des diabétiques ayant reçu de la metformine (M+). Bien plus il n’y a pas de différence, dans la vitesse de ce déclin entre les sujets des groupes GC et M–.


Quatre-­vingt-­onze cas de démence ont été diagnostiqués au cours du suivi, avec une fréquence plus grande (14,5 %) dans le groupe M– que dans les groupes M+ (6 %) et GC (8,3 %).

Il n’a été noté aucune différence dans les volumes cérébraux entre les trois groupes.


Cette étude renforce les 2 hypothèses à savoir que :

  • le diabète accélère la vitesse de déclin des fonctions cognitives et le risque de démence, comme on le voit dans le groupe de diabétiques n’ayant pas reçu de metformine ;
  • cette accélération du déclin des fonctions cérébrales n’est pas retrouvée, chez les diabétiques recevant, depuis plus ou moins longtemps, de la metformine, qui se comportent comme des sujets non­-diabétiques.


La metformine préserverait de certaines mutations cancérigènes

Le patient diabétique est plus exposé aux risques de développer un cancer que le reste de la population. En effet, outre le fait d’avoir des facteurs de risque communs (âge, obésité, mauvaise alimentation et sédentarité), les anomalies métaboliques dues au diabète (hyperinsulinémie, hyper­ glycémie et inflammation), apparaissent comme des facteurs plausibles associés à un risque accru de cancer. Ce sur risque concerne quasiment tous les cancers.

Une surprenante observation a été publiée en 2005, fruit du travail de l’Université de Dundee au Royaume-­Uni : l’apparition de certaines tumeurs trouverait son origine dans le dysfonctionnement d’un gène (LKB1) qui inactiverait l’enzyme AMPK. Or, la metformine active cette enzyme AMPK et réduirait ainsi l’apparition des tumeurs. Les risques de développer un cancer diminuent de 25 % pour les patients diabétiques traités à la metformine. Cette constatation a été confirmée, notamment pour les cancers de la prostate, du sein, du pancréas et du colon.

En bref, la metformine n’a pas encore livré tous ses secrets, dont les patients et la communauté médicale peuvent encore attendre beaucoup !


La metformine, une vieille dame toujours au top de l’actualité


Les grandes études sur la prise en charge des diabétiques de type 2, initiées au XXe siècle et publiées au début du XXIe (la plupart en 2008), ont bien défini ce que devait être un médicament efficace pour ces patients.

 Un « bon anti-diabétique » doit idéalement non seulement faire baisser l’HbA1C, témoin du contrôle glycémique, mais aussi minimiser le risque d’hypoglycémies, éviter la prise de poids, protéger des risques cardio­ vasculaires, rénaux et hépatiques et même de cancers, enfin ralentir la perte des cellules bêta.

Après plus de 40 ans de vie, après avoir été refusée par les Américains pendant plus de 25 ans, la metformine est aujourd’hui le médicament qui se rapproche le plus de ce produit idéal. Seuls les médicaments ayant un effet incrétine, inhibiteurs des DPP IV et analogues du GLP1, semblent avoir des effets aussi intéressants, mais ne sont sur le marché que depuis moins de 10 ans.

Alors, oui, les recommandations ont raison : la metformine est le médicament de 1re intention pour tout diabétique de type 2 et doit être poursuivie aussi longtemps que l’état clinique du patient le permet et que son système digestif la tolère.



Source : 

Le diabète : Mieux le comprendre pour mieux vivre. Michel Pinget, Michel Gerson. John Libbey Eurotext, 6 janv. 2022.