Exposomes et prévention du diabète de type 2

Par le Pr Michel PINGET, diabétologue - Octobre, Novembre 2023


1/2 - Le diabète de type 2 et la transition épidémiologique


Notre monde est en pleine mutation. On parle de transition dans tous les domaines, de l’environnement, du climat, du numérique….. La santé n’échappe pas à cette évolution et nous vivons ce que les historiens appellent la transition épidémiologique. La transition épidémiologique se caractérise par le changement total des paradigmes de santé.


Alors qu’historiquement les hommes ont dû affronter des pandémies de maladies infectieuses, dont ils sont majoritairement décédés (peste, choléra, grippe espagnole..), ils voient aujourd’hui les maladies chroniques se développer de manière pandémique et mettre en jeu leur santé, beaucoup plus sévèrement que les maladies infectieuses, elles en régression. Elles deviendront dans les toutes prochaines années la première cause de mortalité et de handicap.


Dans le même temps notre mode de vie change de manière tout aussi brutale nous faisant passer d’une activité physique importante et obligatoire à la sédentarisation et d’une nutrition saine et sans excès à une « malbouffe » à l’américaine. Voilà pourquoi on considère aujourd’hui ces maladies comme des maladies de civilisation.


De plus ces maladies chroniques, comme leur nom l’indique, ont une évolution très longue et donc impactent non seulement l’individu, mais aussi la société par le coût que représentent leur traitement et leur impact sur la vie socio-professionnelle. Elles peuvent certes à un moment guérir, mais certaines restant incurables.


Le diabète est une de ces pandémies modernes, le nombre de sujets affectés dans le monde étant passé de 100 millions en 2000 à un peu plus de 450 millions aujourd’hui, avec des prévisions entre 600 et 800 millions en 2040. Le diabète de type 2 (DT2) représente 90 % de cette progression. De même le coût du traitement est passé de 320 milliards de dollars en 2009 à plus de 750 en 2019 avec des prévisions pour 2040 de plus de 900 milliards de dollars. Cette progression affecte toute la planète, mais en premier lieu les pays émergents et les populations ayant vécu de grands drames (guerre, génocide ..) dans un passé récent.


Face à cette explosion, il importe de mettre en œuvre des mesures de prévention pour différer leur apparition, ralentir leur progression et prévenir leurs éventuelles complications, tout en sachant que l’on ne pourra jamais empêcher l’explosion de notre mode de vie de se poursuivre, sous l’effet notamment du boom technologique. Là, est tout l’enjeu de la prévention.


Pour être capable de conduire de telles actions préventives, il faut connaître quels sont les facteurs qui sous-tendent cette évolution pour être à même de les combattre efficacement. 


C’est dans le cas du diabète, sans doute, que ces facteurs ont été le plus tôt et le mieux identifiés. On a en effet, de manière simpliste et depuis très longtemps, considéré un DT2 comme la conséquence d’une alimentation déstructurée et d’une inactivité physique chez des sujets prédisposés, notamment par des facteurs issus de leur histoire familiale, l’hérédité. On parle à juste titre de maladie génétique quand on parle de diabète.


En réalité toutes les maladies chroniques (oncologiques, cardiovasculaires, respiratoires, digestives, rhumatologiques, rénales, …) répondent au même modèle et sont la conséquence de l’exposition du sujet qui va les développer à des facteurs innés (à priori non modifiables) et des facteurs acquis, directement liés aux conditions dans lesquelles il a évolué depuis sa naissance jusqu’au jour du diagnostic (dont on peut penser qu’ils sont modifiables).


On regroupe aujourd’hui tous ces facteurs sous l’appellation d’exposomes, qu’ils soient à priori innés ou acquis. 


En fait, la réalité est plus complexe car :

  • il existe des interactions entre les exposomes environnementaux, passés ou présents et ceux trouvés dans nos gènes,
  • les exposomes présents dans nos gènes ne sont pas figés mais peuvent être modifiés de manière positive ou défavorable,
  • c’est dès la conception in utéro que ces exposomes peuvent agir pour favoriser l’apparition d’un DT2 à l’âge adulte,
  • la grossesse est aussi une période d’exposition du futur adulte à de multiples exposomes.


De fait, les facteurs classiques de malbouffe et de sédentarité à l’âge adulte ne sont qu’une faible partie des exposomes qui vont conditionner la survenue d’un DT2 et contre lesquels on doit essayer de lutter. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.


Nous verrons dans le prochain numéro, dans l’acte 2, comment on a pu comprendre avec le temps la nature de ces exposomes dans le cadre du DT2, leur impact sur sa survenue voire les moyens pour agir dessus.



Les exposomes, un nouveau concept pour mieux comprendre les maladies chroniques et guider leur prévention.


Un nouveau mot fleurit aujourd’hui dans le langage médical, celui d’exposome. Il correspond à une réalité dans l’histoire naturelle des maladies chroniques, bien sûr du diabète. Il désigne tout facteur qui peut exposer, par sa présence, un sujet au développement d’une maladie chronique. 


Nous lui consacrerons 2 articles successifs : 


  • Dans ce premier acte nous situons le diabète dans le cadre des nouvelles pandémies et introduisant la notion d’exposomes.
  • Le 2ème acte sera consacré à l’analyse des exposomes impliqués dans la survenue d’un diabète de type 2 à l’âge adulte, sa progression et le risque d’apparition de complications. Très naturellement nous verrons comment essayer de minimiser l’impact de ces exposomes, voire comment les transformer en facteurs de protection.


2/2 - Les exposomes traits d'union entre nos origines et notre futur.


Dans l’acte 1 du précédent numéro, nous rappelions que le diabète de type 2 (DT2) est aujourd’hui l’une des grandes pandémies de maladies chroniques du 21ème siècle, et affecte de manière très variable les différentes parties du monde. Par ailleurs nous évoquions le fait qu’une telle évolution relevait de l’exposition des sujets à des facteurs responsables du dérèglement pancréatique, innés pour certains, acquis pour d’autres.


Qu'est-ce qui a changé au cours des 50 dernières années ?

L’explosion de cette maladie au début de ce siècle est à l’évidence à mettre en relation avec les changements survenus très brutalement dans nos conditions de vie, notamment :


  • L’espérance de vie qui a augmenté et avec elle le développement des maladies liées à l’âge, dont le DT2,
  • Le comportement alimentaire, passant de périodes où l’accès à la nourriture était difficile, mais l’aliment naturel, à la dysnutrition d’aujourd’hui, faite de consommation excessive de sucre, graisse et sel, avec une balance énergétique déséquilibrée et des aliments ultra-transformés (AUT),
  • Le niveau d’activité physique, passé en moins de 300 ans de 8 heures d’activité physique quotidienne à 45 minutes, jusqu’à la sédentarité, aujourd’hui authentique maladie,
  • Le stress, surtout celui lié à l’urbanisation.


Ce sont à l’évidence des exposomes environnementaux qui jouent un rôle dans la genèse du DT2. Ce ne sont pas les seuls, le rôle d’autres étant aujourd’hui prouvé (voir tableau). Mais l’exposition à ces facteurs ne suffit pas. Ces exposomes vont en effet faire s’exprimer des gènes qui portent en eux le passé plus ou moins lointain de l’espèce humaine.


Ce sont les grandes études épidémiologiques de ce début de siècle qui ont mis en évidence cette composante génétique, notamment par l’analyse de la fréquence de la maladie dans différentes populations (= prévalence, pourcentage d’une population affectée) et l’évolution de cette prévalence (= incidence, nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année).


L'implication de modifications génétiques est évidente.

Dès le début des années 2000 on a constaté que, aux USA, on observait un taux très élevé de DT2 (prévalence > 50 %) chez des populations ayant migré des Indes (les Indiens Pima), soit 3 à 5 fois plus qu’au sein de populations d’origine hispanique, antillaise ou afroaméricaine et 10 fois plus que dans des populations caucasiennes (d’origine européenne). Une telle différence de risque selon l’ethnie, dans un même pays, révèle l’implication de modifications génétiques.


On observe de même de grandes différences de prévalence et d’incidence selon les pays, les plus exposés étant à l’évidence ceux qui ont connu le plus de souffrances dans les dernières années (décennies), avec notamment une malnutrition chronique.


Très clairement l’homme, exposé depuis des siècles à des problèmes de malnutrition pouvant aller jusqu’à des famines et devant en même temps maintenir une activité physique importante, a développé, au moins jusqu’à la moitié du 20ème siècle, un génotype favorisant le stockage alimentaire et réduisant la dépense énergétique. On appelle ce génotype le génotype de jeun, qui impacte notamment le métabolisme du sucre, et prédispose à l’obésité et au DT2.


Très clairement il existe bien des exposomes génétiques au DT2, sachant que l’on connaît aujourd’hui des dizaines de mutations génétiques associés au risque de DT2. 


Au-delà des mutations génétiques les modifications épigénétiques.

Les mutations génétiques d’adaptation reflètent l’environnement d’un passé plus ou moins lointain. On découvre actuellement que des variations rapides des conditions de vie peuvent aussi modifier l’expression de gènes en prenant un autre chemin que celui de la mutation, en provoquant des modifications biochimiques et enzymatiques d’un gène sans en changer la structure. On parle de modifications épigénétiques, dont on découvre chaque année de nouveaux exemples.


On sait, par exemple, que les enfants gravement hypotrophes à la naissance sont exposés à l’âge adulte à un risque accru d’obésité et de diabète, risque transmissible sur les 2 à 3 générations suivantes. Il est probable que, lors de la malnutrition in utero, le futur bébé ait développé des modifications épigénétiques dans ses différents organes, dont le but est à nouveau de favoriser le stockage du glucose et la réduction de son utilisation.


De même un homme peut, lorsqu’il est confronté à la malnutrition pendant des mois/années, développer des modifications épigénétiques, affectant notamment les gamètes et le sperme, conduisant à la procréation de bébés au risque, là aussi, accru d’obésité et de DT2, risque également transmissible sur plusieurs générations. Ceci peut expliquer les différences de prévalence en France où les populations du Grand Nord Est ont une prévalence quasi double des populations bretonnes ou corses. Les hommes du Grand Est ont manifestement été beaucoup plus impactés durant la 2ème guerre en terme de malnutrition que ceux vivant plus loin des zones de combat.


En conclusion le DT2, pandémie du 21 ème siècle, est bien une maladie de la civilisation actuelle, synonyme d’exposomes environnementaux nouveaux. Toutefois la survenue d’un DT2 chez un individu est déjà jouée à 50 % à la conception, du fait de l’expression des gènes acquis de ses parents, dont la finalité est la protection contre le risque majeur rencontré chez ses ancêtres, la malnutrition (exposomes génétiques et épigénétiques). Ceci étant, la seule action possible à ce jour est de réduire l’impact des conditions environnementales, en premier lieu par le retour à une activité physique comparable à celle des générations précédentes. A terme ces actions de prévention pourront influencer positivement l’adaptation de notre génétique à cette transformation du mode de vie, dont on ne peut que penser qu’elle va encore progresser.